❝ Things we lost in the fire ❞ ft. Jace

Baela tremble et son visage se tord de douleur. Elle a mal, sa peau brûle, la tire et en même temps, elle a froid. Elle s'efforce de ne pas gémir, de ne pas laisser entendre qu'elle a mal. Son père serait déçu de la voir faiblir, de la voir abandonner. Cette pensée lui fait monter les larmes aux yeux alors que la réalité la frappe à nouveau. Le Prince Daemon Targaryen est mort. Il n'est plus là, il ne reviendra jamais d'Harrenhal. Tout comme Jace n'est jamais revenu de la bataille du Gosier, Joffrey jamais revenu de Port-Réal, Lucerys d'Accalmie et Rhaenyra n'a pas eu le temps de l'atteindre dans les cachots de Peyredragon. Pourtant, même si elle sait qu'ils sont morts, qu'elle ne les reverra jamais, leurs visages continuent de s'imposer à elle dans ses rêves, dans ses moments de délire à cause du lait de pavot. Elle déteste s'y soumettre mais les quelques heures où il fait effet lui permette de trouver le sommeil et de se reposer.
Avec prudence, elle se tourne dans le lit et enfouit son visage dans l'oreiller pour étouffer un gémissement de douleur. Les larmes lui échappent alors qu'elle est seule. Elle s'est montrée si forte pendant si longtemps mais elle n'en est plus capable. Que lui reste-t-il ? Elle pensait s'échapper lorsqu'elle a saisi cet éclat de miroir, elle pensait pouvoir tout réparer mais à la place, elle est arrivée dans cet étrange réplique de Port-Réal tandis que le monde autour ne ressemble en rien aux Terres de la Couronne.

La porte de la chambre s'ouvre et Baela garde sa tête enfouie dans l'oreiller, elle veut le serrer contre elle mais les brûlures sur son bras droit lui font trop mal. Elle se souvient trop bien des blessures de son père, celles qu'il lui avait dit tenir de la guerre dans les Degrés de Pierre et elle aimerait qu'il soit là, qu'il lui dise comment supporter la douleur. Elle aimerait que Rhaena soit là pour lui tenir la main, pour l'aider à surmonter cette épreuve et partager avec elle sa peine et son chagrin. Elle voudrait que ses frères soient là mais lorsqu'elle avait disparu, seul Aegon était encore en vie. A-t-il survécu ? Elle ne saurait le dire.

« — My lady. How do you feel? »

La voix du mestre la pousse à essuyer ses larmes de son bras valide, celui qui n'est pas brûlé et elle peine à se retourner, revenir sur le dos alors que son omoplate brûlé touche les draps.
Depuis longtemps, la dragonnière a repoussé les draps du lit qui lui tiennent trop chaud contre sa peau et ne porte qu'un pantalon dont la présence est douloureuse contre sa jambe brûlée tandis qu'elle n'a qu'un morceau de tissu autour de sa poitrine pour la couvrir et éviter le contact du tissu contre son flanc brûlé. La blessure s'étend le long de sa jambe, remonte contre sa hanche, sa taille, ses côtes, le long de son bras droit, son épaule, son omoplate et son cou, jusqu'à sa joue droite. Il lui est difficile d'éviter le contact tant qu'elle n'a pas cicatrisé et sa chaire tire, suinte et seul l'air frais semble lui faire du bien. C'est pourquoi elle est étendue, le côté droit vers la fenêtre en espérant qu'un courant d'air viendra l'apaiser mais aujourd'hui, le vent ne semble pas au rendez-vous à Port-Réal.

« — Better than yesterday, worst than tomorrow. »

Il s'approche du lit et elle le fixe de ses yeux d'un violet sombre. Il lui tend une tasse et elle en hume l'odeur. Le lait de pavot. Elle aimerait ne pas en avoir besoin mais elle a besoin de repos. Plus que cela, si elle était honnête avec elle-même, elle admettrait que les visages et les voix qu'elle entend lorsqu'elle est entre le rêve et la réalité lui font du bien, la ramène à des temps bien plus simples.
Elle se relève, son visage se tord à nouveau et elle prend la tasse pour la porter à ses lèvres pour la boire entièrement. Qui saura qu'elle a été faible ? Qu'elle a bu pour soulager sa peine ? Ce n'est pas seulement la douleur physique que le lait de pavot endort mais également la douleur émotionnelle, la peine, les souvenirs des décès successifs. Laena Velaryon, Laenor Velaryon, Lucerys Velaryon, Visenya Targaryen, Rhaenys Targaryen, Jacaerys Velaryon, Viserys Targaryen, Daemon Targaryen, Joffrey Velaryon, Rhaenyra Targaryen.
Elle se répète leurs noms pour ne pas les laisser mourir, pas totalement. Elle sent déjà la douleur s'effacer. Laena Velaryon. Son corps se glisse à nouveau dans le lit. Laenor Velaryon. Sa tête s'enfonce dans l'oreiller. Lucerys Velaryon. Ses yeux se ferment. Visenya Targaryen. Elle remercie le mestre dans un souffle. Rhaenys Targaryen. Sa peau tire mais sans réelle douleur. Jacaerys Velaryon. Son esprit s'apaise. Viserys Targaryen. La douleur disparait entièrement. Daemon Targaryen. Son cœur se gonfle d'amour. Joffrey Velaryon. Un sourire étire ses lèvres. Rhaenyra Targaryen. Leurs visages lui apparaissent et leurs voix se font entendre à ses oreilles. Et Baela rit. Et Baela s'endort.

Ses yeux s'ouvrent quelques heures après, lorsqu'elle entend son nom être appelé d'une voix qui fait réagir tout son corps. Elle sent son esprit encore embrouillé par son rêve, peine à faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

« — Jace? »

Son cœur se serre au souvenir de son fiancé. Lorsqu'elle ouvre les yeux, il se tient devant elle, au bord du lit, comme dans ses rêves. Il va bien, il n'a pas changé depuis la dernière fois qu'elle l'a vu mais elle ne cherche pas à le toucher. Chaque fois qu'elle le fait, chaque fois qu'elle tend la main vers lui, elle ne le sent pas et il s'évapore. Elle ne veut pas qu'il disparaisse encore.
Depuis sa mort, elle ne parvient pas à se défaire de sa culpabilité, elle ne parvient pas à oublier les mots qu'elle ne lui a jamais dit et tout ce qu'elle a gardé pour elle. Elle n'oublie pas leur dernière conversation : une dispute. Elle voulait l'accompagner au Gosier pour trouver Viserys, il avait refusé parce que Danselune était trop jeune pour être monté et trop peu habitué à la bataille. Parce qu'Aegon avait besoin d'elle. Sa promesse de revenir, elle l'avait rejetée pour sa colère, l'accusant de vouloir la surprotéger alors que personne n'empêchait Orties d'aller sur le champ de bataille.
Depuis sa mort, elle regrettait ses dernières paroles. Elle regrettait de ne jamais lui avoir dit au revoir.

« — Did you come to torture me again? »

Les mêmes rues, les mêmes clameurs de rue, la même puanteur et le même degré de fourmillement d'activité. Jacaerys aurait presque pu croire qu'il était de retour à Westeros tant Port-Réal ressemblait en tout point à la ville qu'elle était là-bas. Bien qui'l y avait quelque chose de différent entre les murs du Donjon Rouge, quelque chose de plus ténébreux que lorsque les Verts l'occupaient mais plus... Il ne saurait pas l'expliquer mais il avait l'impression de mieux y respirer pourtant. Sans doute parce que les Hightower n'y étaient pas.

Pourtant, cette ville comptait nombre de différences avec celle qu'il connaissait, celle où il était né et avait grandi. Mais vraiment, ce n'était pas la ville qui préoccupait véritablement Jacaerys, ce n'était pas la raison de sa présence. Cela faisait à peine plus d'une semaine qu'il se trouvait ici, qu'il avait retrouvé sa mère. Sa mère et Visenya. La surprise avait été terrible et foudroyante. Plus horrible encore de se rendre compte qu'il retrouvait une mère qui n'avait pas vécu les lunes qu'il avait vécu avant son arrivée ici. Pire encore, de savoir qu'Alicent Hightower se trouvait là et que sa mère semblait avoir noué un lien avec elle. Ce dernier point réveillait chez lui une fureur que Jacaerys Velaryon n'avait jamais su qu'il détenait. Mais peu importait que son sang soit aussi celui d'Harwin Strong ou que Leanor Velaryon soit le père qui l'avait revendiqué comme sien. C'était le sang de l'ancienne Valyrien et des dragons qui coulait en lui par dessus tout, c'était cette nature que sa mère comme Daemon avait encouragé sans le savoir et le réaliser, lui non plus.

Pour tout le bonheur qu'il ressentait à retrouver sa mère, à voir la vie dans ses yeux à nouveau, celle qui l'avait quitté après Vusenya, après Luc... Il ne parvenait pas à se défaire de son dégoût et de sa rancœur envers la Reine Verte peu importait que pour elle, rien de tout cela ne soit arrivé, que ce soit également le cas pour sa mère.
Lui l'avait vécu, lui s'en souvenait et rien de ce qu'elles diraient ou feraient ne lui permettrait de pardonner les actes, les paroles et les deuils que la trahison des Verts avaient engendré.
Son temps, Jace l'avait surtout partagé avec sa mère et... Sa petite-sœur. Cette simple pensée suffisait à égayer son visage, le faisant sourire à la pensée de Visenya.
Sa sœur n'était en rien le plus beau bébé du monde. Elle avait un visage qui rappelait Daemon, pour son plus grand amusement, et des yeux dépareillés. Mais elle était belle tout de même, énergique et Jacaerys avait tant espéré une sœur, il était vrai, il était heureux de la voir ici, de la voir en vie.

Pourtant, il avait quitté Pair Caravel. Il n'avait pas hésité même si cela lui avait coûté de quitter sa mère et sa sœur, même s'il avait vu l'hésitation de sa mère.
Jace avait beau avoir retrouvé une partie de sa famille, il n'avait pas abandonné l'espoir féroce de retrouver plus encore. Tous les jours, il volait avec Vermax dans les environs de Cair Paravel ou même plus loin, interrogeait les gens de divers villages.
C'était ainsi qu'il avait fini par entendre les rumeurs d'un autre dragon aux alentours de Port-Réal. C'était ainsi qu'il s'était décidé à s'y rendre.
Il avait embrassé sa mère, lui avait promis prudence et nouvelles et avait pris son envol pour Port-Réal, sans s'arrêter. Le vent avait semblé chanter milles mélodies et promesses durant son périple.

Il avait découvert en arrivant la destruction de Fossedragon et donc, Vermax était resté dans la cour du Donjon Rouge tandis qu'il était accueilli, chaleureusement, notamment après qu'il ait décliné son identité.
Dans cette cour, sous les yeux des gardes, il avait alors découvert cet autre dragon qui n'était pas qu'une rumeur, un dragon que Vermax retrouva avec entrain. Jace s'était presque écrié de joie en voyant Danselune.
Immédiatement, il avait demandé si Baela se trouvait là et on le lui avait confirmé. Mais les nouvelles n'étaient pas sans être teintés de noirceur.

Sans rien lui dire de plus, on l'avait conduit à l'intérieur jusqu'au mestre qui était chargé de s'occuper de sa promise, gravement blessé selon ses dires.
Et Jacaerys ne put que lui-même découvrir l'ampleur de cette vérité lorsqu'il fut guidé jusqu'aux appartements où sa cousine était installée, inconsciente et assommée au lait de pavot.
La vue de son corps presque dénudé et brûlé lui retourna l'estomac, ébranla la volonté du jeune Velaryon qui ne put que l'observer avec une horreur effroyable dans le brun de ses yeux.
L'envie de se précipiter à ses côtés, de la secouer, de lui tenir la main le prit mais malgré le feu qui brûlait au fond de ses veines, il chercha en lui le calme de l'océan pour se tourner vers le mestre, demander des précisions.

Il apprit si peu. Baela était apparemment arrivée ici dans cet état, avait à peine était capable de décliner son identité et on avait pris soin d'elle depuis.
Jace finit par congédier le mestre pour rester seul avec Baela, pour s'assoir au pied de son lit. Il la voit s'agiter dans son sommeil et tend sa main, hésite un peu avant de la prendre dans la sienne.
Ses yeux détaillent encore et encore ses cicatrices. Elles ne sont pas sans lui rappeler celles de Daemon, celles qu'il avait hérité de ses combats dans les Degrés de Pierre. En les voyant, en faisant la comparaison, il ne faisant aucun doute dans l'esprit du jeune prince que ces blessures avaient été infligées à Baelon par feu de dragon.

Qu'avait-elle enduré ? Qu'était-il arrivé après sa mort ? Car il ne doutait pas non plus du fait que la Baela qui était agonisante de douleur dans ce lit venait de plus loin dans le temps que lui.
Les derniers souvenirs qu'il avait d'elle n'incluait aucune blessure, non, seulement une colère démentielle et une promesse qu'il avait brisé.
L'avait-elle haï, pour avoir perdu la vie ? Pour ne pas être revenu et l'avoir abandonné ? Elle s'agita encore mais au milieu de son agonie, il lui sembla voir l'ombre d'une lueur de sérénité sur son visage.

Jace ne fut pas certain du temps qui s'écoula. Il avait finit par demander au mestre de quoi écrire, avait rédigé une lettre pour sa mère, l'informant qu'il avait retrouvé Baela et Danselune mais que sa cousine était gravement blessée et qu'elle n'était pas en état de voyager, qu'elle n'était même pas encore consciente et qu'il resterait avec elle. Il lui demandait même de venir, si elle le pouvait, avec Visenya.
Il l'avait fait envoyé mais depuis n'avait pas quitté le chevet de Baela. Après ce qui lui semble durer encore une éternité, il semble au prince qu'il voit ses yeux bouger et il l'observe, l'appelle pour voir s'il peut obtenir une réaction de sa part.

Alors, il peut enfin voir ses yeux violets, héritage de l'ancienne Valyria et son cœur se fait lourd sous la confusion qu'il y voit, en entendant la faiblesse de sa voix.
Quand a-t-il déjà vu sa promise si faible ?
Non, Baela était une force brute, une dragonnière accomplie qui ne pliait sous aucune menace, elle tenait ça de son père, de sa mère et de leur grand-mère. Même lorsque Lucerys avait trouvé la mort, elle avait su garder la tête haute et affronter cette perte avec force quand tout semblait s'écrouler, quand leurs parents semblaient sombrer dans la folie -sa mère dans celle de son esprit et de son désespoir, Daemon en envoyant des assassins supprimer un enfant dans l'enceinte du Donjon Rouge.
Sa question lui fait froncer les sourcils doucement et Jacaerys se penche un peu.

« Torture you ? »

Parlait-elle de sa mort ? De la déception et du sentiment de trahison qu'il avait pu laisser derrière lui ? Ou était-ce le lait de pavot qui influençait son esprit et qui la faisait délirer ?
Prudemment, Jace avança sa main et la posa contre ses doigts, sa peau brûlante sous la sienne.

« I am very sorry, Baela. »

Le lait de pavot la fait délirer, elle peine à savoir ce qui est réel ou non mais Jace... Jace ne peut pas être réel. Parce que Jace est mort, il l'a abandonné, il a rompu sa promesse et il l'a laissé seul avec sa peine, sa culpabilité et son désespoir. Pourtant, elle a su se montrer forte, prétendre que la douleur n'est pas là et que la vie continuait. Car sa vie avait continué. Elle avait même réussi à rire, à trouver un semblant de bonheur. Elle n'avait jamais ressenti à nouveau ce qu'elle avait ressenti pour son cousin et fiancé mais elle avait trouvé à s'amuser en la compagnie de jeunes hommes. Tant que cela lui avait valu d'être surveillée de près par Robert Coing après qu'il l'ait surpris en train d'embrasser un garçon des cuisines.
Le visage de son fiancé est-il là pour la torturer ? Pour lui rappeler sa promesse brisée ? Pour lui rappeler sa peine et son chagrin et faire céder ses dernières barrières ? Chaque mort lui rappelait son impuissance durant la guerre et même lorsqu'elle avait essayé, alors même qu'elle aurait pu empêcher Rhaenyra de mourir, elle avait échoué. Habituellement, elle est fière, elle parvient à garder la tête haute mais le lait de pavot ou la douleur de ces derniers jours, la douleur qui ne cesse que brièvement et la torture le reste du temps, affaiblissent ses défenses.
Malgré tout, Baela conserve la volonté de vivre, elle refuse d'abandonner. Le sang des dragons n'abandonnent pas. En elle coule le sang des Velaryon et des Targaryen. Elle ne veut pas faire défaut à ses parents, à ses grands-parents. Elle est une dragonnière, une descendante de l'Ancienne Valyria et elle ne peut pas arrêter de se battre.

Les mots de Jacaerys le font rire jaune. Son rire est faible, lassé et elle tourne la tête vers le plafond.

« — You already said that. But it doesn't change anything. You're gone. »

Elle tourne à nouveau la tête vers lui, ses yeux se reposent sur lui par crainte qu'il ne s'évapore encore. Car malgré la colère, la souffrance et la culpabilité, elle veut qu'il reste un peu plus longtemps avec elle. Juste un peu plus.

« — Everyone is gone. »

Elle baisse les yeux vers sa main, leurs mains et elle sent ses doigts contre les siens, elle sent sa chaleur. Son cœur se met à battre plus vite, ce traitre lui fait espérer que tout ceci ne soit pas un rêve pourtant, elle sait parfois que les hallucinations peuvent être trop réelles.
Sa main se retire, s'éloigne de la sienne puis, hésitante, elle revient, pose ses doigts sur les siens et elle les sent. Elle sent sa chaleur, la forme de sa main, les os sous sa chaire et elle la presse doucement mais rien ne s'envole, rien ne disparait.

« — Are you... Are you real? »

La réponse s'impose d'elle-même. Il est forcément réel puisqu'elle le sent, puisqu'il ne s'efface pas pour laisser placer à un autre visage. Ses yeux se ferment, elle a presque envie de se rendormir avant que la douleur ne revienne l'éveiller et la faire souffrir des heures durant.

« — How can you be here? You were dead... »

La pensée de ses blessures ne cesse de hanter l'esprit de Jacaerys. Comment était-ce arrivé ? Comment Baela avait-elle pu être blessée à ce point ?
L'inquiétude quand à de telles réponses l'effrayait. Mais c'était l'état de sa promise et ses paroles tandis qu'elle ouvrait les yeux qui le préoccupait davantage à cet instant. Pensait-elle rêver ?

Cette possibilité lui apparut être d'autant plus plausible lorsqu'elle lui répondit, lorsqu'elle lui dit qu'il était parti, que tout le monde était parti.
Son cœur manqua de s'arrêter en entendant cela. Que voulait-elle dire ? Qui d'autre avait pu perdre la vie ? Une panique et un effroi certain s'empare du jeune prince mais il ne s'autorise pas à la laisser s'étendre.

« Baela... »

Mais il ne finit pas sa phrase. Sa cousine retire sa main de la sienne et le geste le laisse dubitatif, certain à présent qu'elle doit croire qu'elle rêve. Comment pourrait-il la convaincre du contraire ?
Sa douleur semble insupportable, le lait de pavot doit encore suffisamment agir pour apporter trop de confusion à son esprit et le mestre lui a avoué qu'il n'est pas certain qu'elle ait compris tout ce qu'il avait tenté de lui expliquer quand au monde dans lequel ils se trouvaient.

Cependant, elle finit par revenir chercher sa main, hésitante, l'air terrifiée. A-t-elle peur qu'il ne disparaisse ? À cette pensée, Jace laisse son pouce effleurer un peu sa peau, juste un peu avant qu'elle ne lui demande s'il était réel, avant qu'elle ne tente de raisonner ?
Le jeune Velaryon tente un faible sourire, dénué de toute joie en vérité.

« It is complicated. I am not sure you will remember or understand it all if I tell you now. So just know this : it is real, I am here.

Cette fois, sa main se noue à la sienne et il hoche doucement la tête, comme pour l'encourager à le croire.

« We are both alive, I assure you. I'll tell you all about it when you will be able to hear me well. I promise. »

La promesse lui arracha une infime grimace, laissa une sensation d'amertume en lui. La dernière promesse qu'il lui avait faite, il l'avait brisé, il en avait conscience. Lui ferait-elle confiance encore après cela ?

« You are safe, Baela. And I will stay by your sides. It is real. »

Il faut du temps à la jeune femme pour réaliser qu’elle ne rêve peut-être pas. Pourtant, cela lui semble impossible. Jace est mort. Son dragon a été tué et s’est noyé, le prince est remonté à la surface pour être abattu et se noyer également. Elle avait entendu le récit des dizaines de fois, de la bouche d’Addam, d’Orties et des traîtres Hugh et Ulf.
Il est mort. Cette réalité, elle s’y accroche car elle la sait véritable. Comme la mort de Laena, Laenor, Visenya, Lucerys, Rhaenys, Viserys, Daemon, Joffrey et Rhaenyra. Ce sont des faits établis sur lesquels elle ne peut revenir, qu’elle ne peut changer.
Pourtant quand elle touche sa main, elle sent sa chaleur, elle sent qu’il est réel et qu’elle ne touche pas un fantôme. Elle est certaine de ne pas être morte, de ne pas l'avoir rejoint car si tel était le cas, il ne serait pas le seul à se tenir à ses côtés. Si elle était morte, elle aurait cessé de souffrir et ses parents seraient là, son père et sa mère ne l'auraient pas laissé seule. Même si elle avait peu de souvenir de Laena Velaryon, le prince Daemon lui avait toujours dit qu'elle l'aimait. Rhaenyra le lui avait dit aussi.

Le pouce du prince caresse sa main et son cœur se serre. Tout semble si réel. Et Jace lui assure que ça l'est. Elle est reconnaissante qu'il n'essaye pas de lui expliquer comment cela est possible car elle sait qu'elle ne comprendrait pas la moitié des choses qu'il lui dirait. Elle doute même encore qu'il soit réel, se demande si quelqu'un n'est pas vraiment auprès d'elle mais que le délire lui fait voir un visage différent, un visage qu'elle aimerait tant retrouver mais qui a disparu de sa vie depuis des nombreuses lunes.
Baela secoue la tête, sa peau tire mais elle ne sent pas la douleur. Ou peut-être le fait-elle mais son esprit est trop embrumé pour comprendre qu'elle a mal.

« — Don't make promises to me... »

Ses yeux se ferment, elle serre la main de Jace et après avoir entendu les dernières paroles de son cousin, elle sombre à nouveau dans le sommeil. Elle est incapable de rester consciente plus longtemps, ses paupières lourdes et son corps fatigué de lutter pour guérir.
Combien de temps s'écoule avant qu'elle n'ouvre à nouveau les yeux ? Une demi-heure, une heure peut-être avant que le lait de pavot ne cesse son effet, que la douleur la tire de l'inconscience. Elle commence par gémir, s'agiter un peu mais chaque mouvement est douloureux et elle ouvre les yeux pour se forcer à rester immobile. Elle serre les dents et son regard retombe sur Jace. Son esprit est plus éclairé que lors de son précédent réveil. Elle sait qu'il est réel cette fois, que c'est sa main qu'elle tient fermement dans la sienne, refusant de le laisser partir.

« — You shouldn't see me like that. »

Ses yeux se posent sur son fiancé. Elle sait qu'il est véritablement là. Pas parce qu'elle le sent et qu'elle tient sa main, pas parce qu'il lui a parlé ou que son esprit est plus éclairé mais parce que Danselune aussi était mort et pourtant, son dragon vole actuellement librement autour de Port-Réal en attendant que sa dragonnière soit remise de ses blessures pour venir le monter. Si Danselune est vivant, alors Jace peut l'être aussi. N'importe qui peut l'être.

« — I don't want you to see me like that... »

Il ne servait à rien d'essayer d'expliquer tout cela à Baela. La douleur et le lait de pavot embrouillaient encore son esprit. Elle n'avait pas besoin d'alourdir ce dernier avec des informations pareilles.
À la place, Jace lui promit de rester à ses côtés, lui promit que c'était réel tout en tenant sa main, tentant désespérément d'oublier la dernière promesse qu'il lui avait faite et à laquelle il avait faillit lamentablement. Et que Baela n'avait pas oublié, malgré sa douleur...
Sa supplication noua sa gorge alors qu'elle s'endort et tandis qu'elle sombre de nouveau, le jeune prince sert un peu sa main, se penche près de son visage et chuchote à son oreille.

« But it is real, tough. This I can promise. »

Jace embrasse sa joue, tendrement, juste une pression de ses lèvres contre sa peau brûlante. Si brûlante qu'il se demande si elle ne pourrait pas prendre feu pendant un instant.
Baela se rendort et il reste à ses côtés, continue de tenir sa main en l'observant se tordre de douleur dans son inconscience. À plusieurs reprises, il caressa ses cheveux et lui murmura quelques paroles de réconfort, il tenta même de lui chanter quelque chose en haut valyrien, une berceuse qu'il avait un jour surpris Daemon chanter à Viserys - une autre lors l'une de ces fameuses nuits où il était censé ne pas se trouver dans la chambre de sa mère durant sa grossesse mais il n'avait jamais su que Jace l'avait surpris cette nuit-là.

Malheureusement, il reste encore peu serein dans son abord de la langue et encore plus mauvais à la chanter. Il ne se souvient même pas réellement des paroles et improvise pendant plusieurs secondes avant d'abandonner et de fredonner seulement.

Une heure, peut-être même presque deux à la vérité, finissent par s'écouler et il n'a pas bougé, il n'a pas lâché sa main.
Ainsi, lorsque Baela finit par se réveiller, il remarque immédiatement que le lait de pavot a cessé de faire son effet, il l'entend gémir et la regarde serrer les dents, lutter contre la douleur.
Sa valeureuse promise... Aussi impétueuse et courageuse que la mer qui coulait dans ses veines mais aussi destructrice et téméraire que le feu qui hurlait en elle.

Ses prunelles lilas plongèrent dans ses iris brunes qu'ils avaient tous les deux hérité de leurs pères respectifs et en retour, il serra encore un peu sa main avant qu'elle ne murmure, avant qu'elle ne lui dise qu'elle ne veut pas qu'il la voit ainsi.
Le jeune prince lui offre un sourire pâle mais sincère.

« One day, you will be my wife. And I want to honor my betrothed's courage. »

Sa douleur le peinait profondément. S'il avait pu, Jacaerys aurait échangé leurs places. Mais il était forcé de la regarder endurer cette souffrance, il ne la laisserait pas toute seule. Pas cette fois...

« I want to see it. To see you. To be there. »

Baela le sent à peine, l'entend à peine lui dire encore que tout cela est réel. Elle perd conscience, elle ne tient plus l'effet du lait de pavot. Elle ne sent pas ses lèvres contre sa peau, elle ne sent pas sa chaleur. Elle est déjà loin.
Son réveil n'a rien d'agréable. C'est la douleur qui s'empare d'elle, qui la tord dans son lit, qui lui fait dire à Jace qu'elle ne voudrait pas qu'il soit là, qu'il la voit ainsi. Elle ne veut pas qu'il la voit souffrir, qu'il la voit faible comme elle est. Elle a toujours voulu être, elle a toujours été, forte pour lui. Mais elle en est incapable à cet instant.

« — There is no courage in my suffering. »

Si elle était courageuse, elle n'aurait pas cédé au lait de pavot. Son père l'avait-il fait après la guerre dans les Degrés de Pierre ? Avait-il déjà cédé à l'appel cruel d'un peu de réconfort, de quelques heures de paix ?

« — I wasn't strong enough... »

Elle a eu la possibilité de sauver Rhaenyra, d'arrêter cette spirale infernale de guerre, de trahison, de mort, de chagrin et de deuil. Mais elle n'a pas été assez forte. Elle en paye aujourd'hui le prix. Elle a mérité son sort, pour ne pas avoir été assez forte, pour ne pas avoir su protéger son frère et sa belle-mère quand son père avait donné sa vie pour eux. Pour leur offrir un avenir, à Aegon, à elle, à Rhaena et à Rhaenyra.
Ses doigts pressent sa main sous la douleur, elle veut que la peine s'arrête et parfois, durant les derniers jours, elle a songé que la mort pourrait être une douce délivrance et elle a honte de cela. Pourra-t-elle jamais le dire à Jace ? Pourra-t-elle jamais admettre qu'elle n'est pas aussi forte qu'elle le voudrait ? Qu'elle n'est pas aussi forte que sa mère ou que son père ?

« — How can you... How can you be alive? »

La pensée serre son cœur, comme si elle a besoin d'une douleur supplémentaire. Mais il est là maintenant et elle n'a pas l'énergie de se battre pour qu'il s'en aille, pour qu'il la laisse seule. Jace est têtu, en lui coule le sang des dragons, tout comme il coule en elle. Seulement elle est un dragon blessé, abattu à terre et elle ne peut pas se battre contre lui.
En revanche, elle peut lui parler, se changer les idées, oublier la douleur pour tenter de mener un bout de conversation tant qu'elle est capable de lucidité, tant qu'elle ne cède pas à l'appel du lait de pavot.

« — If you want to stay... Mmh... Talk to me. Change my mind. »

La souffrance de Baela est une douleur qui lui est pire que chacune des flèches qu'il a pu recevoir au Gosier, précipitant alors sa mort. Il aurait tant aimé pouvoir la soulager, faire quelque chose de plus utile, peut-être prendre lui-même cette souffrance pour elle. Baela était brave, il n'en doutait pas. Jamais. Encore moins à l'heure actuelle.
Mais elle n'aurait pas du devoir l'être autant.
Et pourtant, elle vient lui affirmer qu'elle n'était pas courageuse et Jace commence à secouer doucement la tête mais l'écoute encore, secouant alors un peu plus la tête, sa main pressant légèrement la sienne.

« You are so brave, I will not let you say or think the contrary. »

Il ne savait pas ce qui avait bien pu arriver à Baela après sa mort, ce qui était arrivé à leur famille. À vrai dire, le jeune prince avait même un peu peur de l'apprendre alors qu'il se tenait là, aux côtés de sa promise et qu'il pouvait voir son état.

Pour l'instant, il lui fallait se concentrer sur Baela seulement. Elle seule avait besoin de son attention présentement. Il presse encore sa main, celle qu'il a de libre vient caresser doucement ses cheveux, comme il hoche la tête pour accepter de lui parler, comme elle le lui demande.

« I can't really explain. After the battle... I woke up in this whole new world, with Vermax. I've been traveling and trying to understand. From what I now, we are just dragged here from our lives and then... We keep living here. »

C'était la meilleure explication qu'il puisse lui fournir pour l'instant. Jacaerys continue de caresser tendrement ses cheveux, se pince un peu les lèvres.

« Tell me, my dear promised, tell me about what happened to you. I need to know. »

Baela peine à croire que son bien aimé est là, qu’elle ne rêve pas. Et même s’il s’agit d’une hallucination, elle lui semble tellement réelle qu’elle cesse de la repousser. Elle souffre, elle a besoin de s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un pour ne pas sombrer. Elle se sent si faible, incapable d’affronter seule sa douleur mais elle la torture depuis des jours maintenant. Elle n’en peut plus.
Jace loue sa bravoure mais elle n’y croit pas. Elle n’a pourtant pas la force de se battre. Pas aujourd’hui. Un autre jour, un autre désaccord. Elle ne veut pas se battre sur un sujet si futile. La jeune lady veut qu’il lui parle, qu’il lui change les idées. Elle veut comprendre comment il peut être en vie. Elle ne comprendra certainement pas la moitié de ses explications mais tenter de se concentrer dessus lui fera oublier sa propre souffrance.

Baela sent la main de prince Velaryon dans ses cheveux, qui la caresse, qui cherche à l’apaiser et la rassurer et un grognement lui échappe mêlant douleur et un sentiment de réconfort à son toucher.

« — Moondancer… I heard him. I… Feel him. He is not supposed to be here either. »

Danselune est mort au moment où elle a hérité de ses blessures. Et pourtant, elle le retrouve dans ce monde. Tout comme Jace. Les mêmes visages lui reviennent, ceux de ses proches disparues. Laena Velaryon, sa mère. Laenor Velaryon, son oncle. Lucerys Velaryon, son frère avec lequel elle a grandi. Visenya Targaryen, sa soeur. Rhaenys Targaryen, sa grand-mère. Jacaerys Velaryon, son fiancé. Viserys Targaryen, son frère. Daemon Targaryen, son père. Joffrey Velaryon, son frère. Rhaenyra Targaryen, sa reine. Ils sont morts. Elle a peur d’imaginer qu’ils sont ici également. Elle a peur de croire qu’elle est morte et qu’elle continue de souffrir. N’a-t-il aucun monde où elle peut se libérer de la souffrance et de la peine ?
Il lui demande ensuite ce qu’il lui est arrivé et elle grimace. Ses yeux violets se relèvent vers lui, se posent sur son visage et elle n’a pas envie de lui répondre. Elle n’a pas envie de lui faire part de son échec. Mais elle a conscience que tôt ou tard, il lui faudra avouer la vérité.

« — I fought… The Usurper. »

Elle bat des paupières pour rester éveillée et concentrée mais la douleur s’apprête à l’emporter à nouveau, lui faire perdre toute connexion à la réalité sans qu’elle ne puisse lutter.

« — He won… He won the war… »

Ses yeux se ferment et elle se tord à nouveau de douleur, s’agite un peu et d’une certaine manière, elle fuit la conversation. Elle n’est pas prête à se replonger dans les souvenirs de la guerre, dans la souffrance qui accompagne ces derniers, même si elle y pense sans arrêt. Même si elle revoit leur visage. Et elle entend cette petite voix en elle qui désire un peu de lait de pavot, qui veut s’endormir à nouveau pour rêver de ces êtres-aimés qu’elle ne reverra jamais.
Sa main serre encore celle de Jace mais elle n’a plus de force. Elle sent que sa prise de relâche alors qu’elle geint encore de douleur et son visage s’enfonce dans l’oreiller alors qu’elle serre les dents autant qu’elle le peut pour affronter les brûlures qui la torturent.